Chronique ukrainienne n°7

snezhnoyeVoici le témoignage de quelques jours de la vie d’Oksana, 26 ans, vivant dans le Donbass dans la ville de Snezhnoe. L’exemple d’une famille presque heureuse, car réunie et en vie.

Son père se trouve à l’hôpital à cause d’une maladie grave et chronique et nécessite un traitement médical très cher et impossible dans les conditions actuelles. Sa mère n’a plus de travail. Oksana vit avec le deuxième mari de sa mère et sa famille. Lui, étant auparavant directeur de bureau a pu trouver du travail comme chef d’équipe dans les mines du Donbass. Il descend tous les jours à la profondeur de 700 mètres. Son frère, handicapé depuis 25 ans à cause une démolition dans la mine où il travaillait, reste en fauteuil roulant. Sa mère, âgée de 85 ans (âge très avancée pour ce pays), malade, a un problème de mobilité, ne peut sortir de la maison. Ne recevant plus depuis le mois de juin mois ni la retraite, ni l’aide pour les personnes handicapées, le seul revenu financier de cette famille est actuellement le « salaire » du beau-père, payé partiellement 3000 grivnas (115€), ce qui est exceptionnel en ce moment : un médecin gagne environ 1000gr (40€) et un professeur 850 (32€). Lors des bombardements, comment cette famille comprenant deux personnes à mobilité réduite peut-elle s’abriter ? Qui les aidera à oublier les odeurs de centaines de corps en état de décomposition d’une bataille menée à quelques kilomètres de leur maison ?

4 aout 2014
Le matin commence habituellement par le bruit des explosions et des tirs d’artillerie lourde. Vers 6 heures du matin il faut aller se cacher dans la cave et y attendre que ça se termine, puis il faut sortir de l’abri et aller en ville « chercher son bonheur ». On n’amène presque plus de produits alimentaires, les rayons de magasins sont quasiment vides alors que les queues sont interminables. Ayant fait la queue pendant quelques heures, sans avoir acheté du pain tu te précipites à la maison, car les tirs d’artillerie reprennent de nouveau. Cela fait déjà plusieurs jours que l’on n’a plus de connexion mobile ce qui fait qu’il est presque impossible d’appeler les secours en cas de nécessité. Pour l’électricité ça ne va pas mieux non plus, les stations électriques se font bombarder sans arrêt et personne ne va les réparer sous les tirs évidemment. Tu descends quelques fois par jour dans la cave, le seul endroit où tu peux être à l’abri de ces bruits horribles qui donnent un mal de tête terrible et un bourdonnement d’oreille insupportable. Tu prendrais bien un comprimé pour le mal de tête mais tu les gardes, car toutes les pharmacies sont fermées et il serait impossible d’en racheter. Au soir tu te tiens près de la cave pour pouvoir s’y rendre plus vite. Vers 21.45 les explosions sont tellement fortes que tu ne peux pas te diriger vers la cave, car l’onde de choc est beaucoup trop puissante et t’empêche de bouger. Ça fait trembler tous tes organes, la peur enveloppe ton corps. Ce soir ils ont lancé des fusées de type de tir en salve « Ouragan » qui est une arme puissante et meurtrière, ces fusées sont lancées sur des quartiers résidentiels. L’atteinte directe de deux immeubles à 5 étages a couté la vie à trois civils. Les derniers étages des immeubles sont détruits, les gens se précipitent vers les bâtiments touchés afin de sortir les corps. La poussière des briques reste encore longtemps dans l’air. Dans toutes les maisons autour il n’y a plus de fenêtres ni de toits. L’impact fut si fort qu’à 500 mètres à la ronde il n’y a plus de fenêtres. Nous passons cette nuit dans la cave en craignant pour notre vie. Ma grand-mère qui a 83 ans et qui a connu la guerre en 1943 me dit alors qu’à l’époque de la deuxième Guerre Mondiale ce n’était pas à ce point-là.

5 aout 2014
Une nuit dans la cave ne redonne pas de courage. Au matin, on apprend qu’après le bombardement d’hier il n’y a plus de gaz dans la ville. Le courant électrique est perturbé, mais tu essaie quand-même de préparer à manger sur une plaque électrique. Et ceux qui n’en ont pas font des feux devant les entrées de leurs immeubles, préparent des soupes et du thé. La peur envahi la ville, les rues déjà à moitié désertes le sont désormais complétement. Il ne reste plus que quelques magasins ouverts. En passant devant les immeubles tu t’aperçois que tous les gens se tiennent près de leurs caves et leurs abris. Le soir s’approche et la pensée de passer encore une nuit en position assise dans une cave me fait prendre la décision de dormir dehors sur un banc sous un foulard et un vieux manteau. La nuit a été tranquille sans compter les bruits de tirs au loin, mais au matin je cours vers la cave à cause d’une nouvelle attaque de mortiers.

6 aout 2014
Nous avons déjà oublié qu’est un matin tranquille, le silence est ce qu’il y a de plus précieux en ce moment. J’ai appris que le gaz ne sera pas remis d’ici un bon moment. En effet un grand tuyau conducteur a été endommagé et il n’est pas envisageable de le réparer dans des telles conditions. Aujourd’hui nous avons accueilli quatre enfants de la maison d’en face. Cette famille n’a pas de cave et leur père creuse une tranchée dans son jardin entre les bombardements pour avoir un abri à côté. Que garderons ces petits en mémoire de cet « été froid de 2014 » ? Dans les magasins il n’y a toujours pas de nourriture, car la route qui mène vers la ville est bombardée. La boulangerie municipale ne fonctionne pas à cause de problèmes de gaz. Nous faisons de petits pains à la maison avec de la farine qui nous reste. La ville continue à se faire bombardée par l’artillerie lourde. Ce soir ils ont lancé une fusée « Tochka U », mais Dieu merci elle n’a pas explosé. Le rayon d’impact de cette arme est de 2 hectares. La situation dans la ville est au point critique. La panique saisit tout le monde. Croiser un passant dans la rue est rare, la ville est vide, la vie s’est arrêtée. Il est horrible de réaliser que tout cela se passe dans ta ville, dans ton pays natal, dans le Donbass où vivent des gens bons et compatissants, des travailleurs, et maintenant cette terre riche est fertile est recouverte de sang et n’entend plus que des tirs et des pleurs.

27 novembre 2014
A débuté une période dure et horrible. En plus des bombardements interminables des quartiers résidentiels nous sommes menacés par une vraie catastrophe humanitaire. Pour ne pas mourir de faim il faut faire la queue à partir de 4 heures du matin pour avoir une aide humanitaire en espérant qu’il en reste suffisamment au moment où ton tour arrive. En général je fais la queue entre 10 et 12 heures. Dehors il gèle déjà. Moi, j’ai 26 ans, mais à côté de moi dans la queue il y a plein de personnes âgées, de futures mères, de gens avec des enfants, car ils n’ont personne avec qui les laisser et tous ces gens-là attendent pour avoir un sac de nourriture. L’aide provient de deux endroits : de Russie et d’un oligarque de Donetsk (Akhmetov). Mais il n’y en a pas assez pour tout le monde. Les aides sociales sont bloquées depuis juin 2014. Les retraités, les mères avec des enfants de moins de trois ans, les handicapés toutes les personnes en difficulté, nous sommes abandonnés sans accès au minimum vital. Selon les statistiques officielles rien que dans ma ville 58 personnes sont mortes de faim. La situation est sans issue : il n’y a pas de travail, les entreprises ne fonctionnent plus, mêmes ceux qui sont aptes à travailler ne peuvent pas gagner leur pain. Les infrastructures sont détruites, les hôpitaux ne reçoivent pas de médicaments à part ce qui vient de la Croix Rouge mais cela ne suffit pas. Mes voisins de l’immeuble d’en face sont restés dehors, leurs appartements ont été détruit lors d’un bombardement. Ils ont perdus tout ce qu’ils avaient, tous leurs biens ont brûlé ou sont maintenant sous les ruines du bâtiment. Et parmi eux il y a beaucoup d’enfants. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour les aider, nous collectons des vêtements chauds, des chaussures, tout dont ils ont besoin. Nous ne vivons plus, nous essayons de survivre. Tous les jours des civils meurent à cause des bombardements. La semaine dernière deux garçons qui jouaient au foot sont morts atteints de plein fouet par des obus et aujourd’hui un autre garçon de 12 ans qui courrait vers un abri s’est fait arracher la tête par un obus. Arrêtez la guerre !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *