La stratégie maritime de l’OTAN : Interview de l’amiral Canova

Amiral CanovaType : Interview

Titre : La stratégie maritime de l’OTAN : Interview de l’amiral Canova

Auteur : Vincent Groizeleau, ©Mer et Marine

Date : 18.07.2014

Lien : www.meretmarine.com/fr/content/la-strategie-maritime-de-lotan-interview-de-lamiral-canova

Mots-clés Active Endeavour, Atalante, Canova, Convention de Montreux, Défense Anti-Missile Balistique (DAMB), Harmattan, Joint Force Command (JFC Naples), MARCOM, NATO Response Force (NRF), Northwood, Ocean Shield, OTAN, Paulmier, SNMCM1, SNMG2, Ukraine, Unified Protector
Résumé Avant de laisser la place au vice-amiral d’escadre Bruno Paulmier le 1er septembre 2014, le contre-amiral Christian Canova, commandant adjoint (Deputy commander) du commandement de la composante maritime de Northwood, revient sur la stratégie maritime de l’OTAN, la chaîne de commandement, les opérations en cours et à venir, sa réorganisation et son orientation. Il revient également sur les enseignements des missions de lutte contre la piraterie Ocean Shield (OTAN) versus Atalante (PDSC de l’UE), de la lutte anti-terroriste en méditerranée (opération Active Endeavour, OTAN), des opérations françaises Harmattan et otanienne Unified Protector en Lybie et de la crise en Ukraine.
Avis La stratégie maritime de l’OTAN (commandement unique, affirmation d’intérêt collectif, interopérabilité, mutualisation des moyens matériels et humains) impose aux États-membres la perte de leur souveraineté nationale. Le principal levier de sa mise en place s’appuie sur les politiques d’austérité imposées par les néolibéraux. On peut y voir la main des États-Unis d’Amériques pour imposer leur suprématie, également l’Europe Merkel puisque cette stratégie affaiblit les Défenses Nationales fortes (comme celle de la France) au profit de l’Allemagne qui possède une Défense plus réduite et une tradition plutôt « pacifiste » mais aussi du Royaume-Uni, jaloux de notre industrie de l’armement (cf. livraison des BPC aux russes).

Cette stratégie remet en cause notre stratégie ultime de Défense Nationale, basée sur la dissuasion nucléaire au profit de la Défense Anti-Missile Balistique (DAMB). Cette question primordiale (et par extension toutes les questions militaires) qui devrait être débattue par nos parlementaires se retrouve ici acceptée par consensus par les 28 nations de l’OTAN et en fait imposé par les USA avec le déploiement — controversé — de leurs bâtiments dotés de moyens de lutte anti-missile balistique en Espagne. Il est loin le temps où le ministre de la Défense Hervé Morin déclarait le 27 avril 2010 : « La défense antimissile, pour séduisante qu’elle paraisse à l’opinion publique, n’en constitue pas moins une erreur. »

Alors qu’il est rappelé l’importance de conserver une avance technologique, celle-ci est particulièrement mise à mal en France depuis le démantèlement de notre industrie d’armement avec GIAT Industrie devenu Nexter (détenu à 100 % par l’État français) qui, malgré un carnet de commande plein, se retrouve engagé dans un processus de fusion avec l’allemand Krauss-Maffei Wegmann (entreprise familiale) qui possède les mêmes usines, les mêmes produits, les mêmes compétences. Laquelle sera sacrifiée sur l’autel de la mutualisation des moyens ?

plus La crise en Ukraine a bousculé l’ordre du jour du prochain sommet des chefs d’États de l’OTAN (Newport et Cardiff, 4 et 5 septembre 2014). De la sempiternelle question de l’interopérabilité des exercices avec une prépondérance pour les missions aéroterrestres (conflits en Bosnie et en Afghanistan), l’OTAN a pris conscience de l’importance à accorder aux forces navales, alors même qu’elle s’était dotée dès 2011 d’une nouvelle stratégie maritime. Elle était basée sur la dissuasion, la gestion de crise, la défense collective (incluant les pays non partenaires) ainsi que la sécurité maritime.

L’amiral Canova reconnaît la dimension politico-militaire de ces enjeux, impactant nos intérêts nationaux et ceux de l’Alliance et pose les questions pratiques : quels enjeux régionaux, quelles opérations, quelles menaces, comment s’y préparer, comment les contrer ?

Il revient également sur la création du commandement maritime unique de l’OTAN, le MARCOM, créé en décembre 2012, en remplacement des deux états-majors de niveau tactique de Northwood et de Naples.

L’Alliance se prépare pour pouvoir faire face à deux conflits majeurs et six conflits modérés (exemple de conflit modéré : Unified Protector en Lybie) pour être prêt (Full Operational Capability) en mars 2015.

13 forces sous-marines de l’Alliance peuvent mettre à disposition des sous-marins sous commandement de l’OTAN. La patrouille maritime et l’aviation navale sont également mutualisées.

L’Amiral reconnaît que l’UE dispose de tous les pouvoirs étatiques et juridiques pour assurer les missions de sécurité, dimension conjointe militaire / politique que n’a pas l’OTAN. Ainsi, l’opération Atalante de l’UE inclut un programme de reconstruction de la Somalie. L’OTAN propose de concentrer ses efforts sur les périodes les plus favorables à la piraterie (mer peu agitée). L’OTAN voit aussi l’intérêt dans l’opération Ocean shield d’étendre son interaction avec d’autres nations comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Chine ou encore le Japon.

« la France ne met pas, en temps de paix, ses unités sous commandement opérationnel de l’OTAN. »

La « crise » ukrainienne a permis de « tester » la robustesse du MARCOM version 2012 / 2013.

Il est rappelé que l’OTAN est une structure militaire qui dépend des politiques et est basée sur le consensus des 28 nations qui la composent (une nation peut bloquer une décision).

Les quatre piliers de la stratégie maritime de l’Alliance sont la dissuasion, la défense collective, la gestion de crise et la sécurité coopérative, auxquels s’ajoute la sécurité maritime.

moins Les deux commandements précédents comptaient plus de 400 personnes, le commandement unique se limite à 300 personnes (100 par tour de quart 24h/24), alors que comme le rappelle l’Amiral, les enjeux maritimes des régions non couvertes n’étaient pas traités et que le commandement maritime unique (…) a une compétence globale, avec un spectre beaucoup plus large.

Par l’exemple des opérations menées en Lybie avec Harmattan (France) et Unified Protector (OTAN), l’Amiral valide la perte de notre souveraineté nationale en acceptant l’idée d’abandonner d’avoir nos propres missions pour la diluer dans celle de l’OTAN. Le fait de disposer d’un poste de Deputy commander au sein de l’OTAN qui agirait comme une sorte de lobbyiste ne résout rien.

L’austérité oblige le modèle d’organisation de la Force de réaction de l’OTAN (NRF), la réforme de la formation des forces des États-membres et partenaires, l’interopérabilité et la mutualisation des moyens, autant de facteurs qui poussent à la perte de la souveraineté.

Le maintien opérationnel du matériel devient dépendant des exercices de l’OTAN qui est la seule capable d’engager les moyens nécessaires pour renouveler des qualifications. Cela finit par toucher à des domaines sensibles comme la défense anti-missile balistique (DAMB).

L’Amiral tente de diminuer les conséquences des formats des flottes qui se contractent et des jours de mer réduits à une centaine (en comparant notre Marine à d’autres) mais précise pourtant « le risque de disposer de beaux bateaux avec des équipages qui ne sont pas suffisamment entrainés. Or c’est là que se joue la crédibilité de l’outil naval. »

L’avance technologique et tactique est rappelée face aux autres marines asiatiques de plus en plus présentes jusque devant nos côtes européennes.

L’Amiral admet les critiques envers l’opération Active Endeavour en méditerranée, éloignée de la réalité des menaces terroristes mais y voit une opportunité « à construire un formidable réseau entre les marines mais aussi les ports et les industries maritimes ». L’OTAN devrait néanmoins « coopérer plus activement avec l’UE ».

L’État-major de l’OTAN, loin des réalités politiques, doit prendre en compte « certaines spécificités culturelles, comme les relations gréco-turques ». La convention de Montreux (Mer Noire) est aussi une contrainte (l’Ukraine et la Russie y sont conjointement impliquées).

Tout ce qui est vecteur d’affirmation de la détermination collective est bien vu (crise ukrainienne, Standing Nato Mine Counter-Measures Group One [SNMCM 1] en baltique).

L’Amiral fait le parallèle entre les manœuvres actuelles de l’aviation russe et les manœuvres d’intimidation alors routinières de la guerre froide.

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